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Parole aux adhérents : Marti

Publié le
24 mars 2022
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Tribune, article de fond, regroupement de parutions… La parole est à eux et nous poursuivons avec Quentin Paulik, co-fondateur de Marti !

Disclaimer de la rubrique : tout en respectant notre charte, les propos tenus ne concernent que l’avis de l’auteur et non celui de l’association French Tech One Lyon St-Étienne.

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Projet Marti – Comment créer un outil numérique inclusif ?

Je m’appelle Quentin Paulik, je suis interne en médecine générale à Lyon. Depuis 2018, je travaille sur le projet Marti, qui vise à faciliter la prise en charge des patients allophones (non francophones, ce qui regroupe les patients migrants, touristes, mais aussi sourds, muets ou ayant une pathologie du langage telle que l’aphasie, la dysarthrie) dans les services d’urgences. Ce projet est né du constat que j’ai fait avec Iliès Haddou, actuellement interne en anesthésie-réanimation et co-fondateur de l’outil, au cours de nos diverses expériences en stage dans les services d’urgences pendant nos études. Il arrive quotidiennement que personne dans le service ne parle la langue de certains patients étrangers. L’interrogatoire est alors difficile et souvent interrompu rapidement du fait du manque de temps, ce qui induit un risque élevé de mauvais diagnostic et ainsi de mauvaise prise en charge. Or, en France, il y a chaque année 22 millions de passages aux urgences, dont >5% concernent des patients allophones. L’accès aux interprètes professionnels est rare, et les outils de traduction peu utilisés car trop chronophages. Or, cette barrière de la langue peut induire des erreurs médicales parfois graves car l’anamnèse (antécédents, symptômes, allergies…) est essentielle pour une prise en charge médicale réussie.

Le projet est né à l’Hacking Health Lyon en novembre 2018, événement organisé par le i-Care LAB et qui rassemble chaque année une centaine de participants se réunissant autour de problématiques de santé, afin de proposer des projets innovants dans le domaine.

Aujourd’hui, Marti est une application Web sur tablette pour les services d’urgences, permettant au patient allophone (non francophone) de réaliser sa propre anamnèse ‘virtuelle’, de manière autonome pendant son temps d’attente aux urgences. Plusieurs canaux de communication sont utilisés : du texte dans la langue du patient, mais aussi des pictogrammes, afin de dépasser la barrière de la langue quel que soit le handicap du patient. Cette borne amovible et tactile est proposée par l’infirmier(e) d’accueil au patient allophone au moment de son arrivée aux urgences. Celui-ci remplit alors ces informations dans la salle d’attente, puis un compte-rendu PDF est automatiquement transmis au médecin qui prendra en charge le patient.

L’outil a pu être expérimenté aux urgences pédiatriques de l’hôpital Femme-Mère-Enfant une première fois en juin 2021, grâce à une collaboration avec les Hospices Civils de Lyon et un financement de la SATT lyonnaise (Société d’accélération du transfert de technologies) Pulsalys. Nous avons pu travailler pendant 6 mois avec une chercheure en linguistique interactionnelle du laboratoire ICAR (sous la tutelle du CNRS, de l’ENS de Lyon et Université Lumière Lyon 2) pour tester les arborescences (250 questions), pictogrammes (480) et maquettes au sein de populations allophones et préparer l’expérimentation aux HCL. La traduction en 11 langues de notre prototype a aussi été réalisée grâce à ce financement, par des traducteurs professionnels d’ISM-Corum et d’Aradic.

Depuis les débuts du projet, l’idée de créer un outil numérique simple d’utilisation et accessible à tous a été notre fil rouge. Ceci pour la simple raison que c’est indispensable, afin que l’outil soit utilisé par des personnes allophones ou en situation de handicap, dans l’environnement stressant et bruyant qu’est la salle d’attente des urgences. C’est pourquoi nous avons opté pour un design très épuré, comme vous pouvez le voir sur la capture d’écran ci-dessous :



C’est aussi pour cette raison que nous avons opté pour des pictogrammes, moyen de communication dit CAA (Communication Améliorée et Alternative) qui a fait ses preuves dans de nombreux domaines et qui est amené à prendre de plus en plus de place en santé (outil Medipicto de l’AP-HP, bandes-dessinées Santé-BD, banque de pictogrammes ARASAAC…). Environ 480 pictogrammes ont ainsi été réalisés par Clémence, designer-graphiste de l’équipe. Ils ont été réalisés en s’inspirant de pictogrammes existants puis adaptés à nos questions/réponses et à notre charte graphique. Nous nous sommes assurés du respect des normes NFP96-105 et du langage FALC (Facile A Lire et à Comprendre). « C’est une méthode qui a pour but de traduire un langage classique en un langage simplifié et ainsi rendre l’information plus simple et plus claire, notamment aux personnes en situation de handicap, dyslexiques, âgées ou encore maîtrisant mal la langue française. »

Ces pictogrammes ont ensuite été testés à plusieurs reprises, d’abord en interne au sein de l’équipe et avec les deux chercheures spécialisées en linguistique interactionnelle, puis au cours de 9 séances de tests dans plusieurs associations :

Singa, association lyonnaise d’aide aux réfugiés, 3 séances de tests au cours des ateliers Blabla : personnes anglophones, arabophones et un dialecte africain.

Act for Ref, autre association d’aide aux réfugiés, une séance avec une dizaine de migrants : langues albanaise, roumaine, turque, arabe.

Inflexyon, école de langue française interculturelle à Lyon.

IFSI Saint-Joseph, école d’infirmière à St-Joseph St-Luc, 2 séances de tests : français et arabophones.

ENS de Lyon, 2 séances de tests : français.

Ces séances de tests utilisateurs ont été réalisées en présentant les maquettes contenant les pictogrammes, sans texte associé, à un panel d’utilisateurs afin qu’ils nous disent oralement ce que leur évoquait chacun des pictogrammes. Lorsque la signification que nous avions souhaitée n’était pas retrouvée, nous leur demandions des suggestions d’amélioration puis décidions en équipe du design final, et enfin nous retestions le pictogramme pour s’assurer de sa bonne compréhension. Nous avons essayé autant que possible d’avoir un maximum de pictogrammes compréhensibles sans texte (dits « universels »), ce qui n’est malheureusement pas toujours possible au vu des différences interculturelles. Nous avons dans ces cas-là fait le choix de privilégier les ‘cultures’ les plus fréquemment représentées au sein du service des urgences pédiatriques de l’HFME (Hôpital Femme-Mère-Enfant à Bron), où nous avons expérimenté l’outil. Cela a été possible grâce au ‘recensement’ qui a été réalisée par les infirmiers d’accueil des urgences pendant 4 mois (du 13/12/2020 au 7/04/2021). Cela a aussi permis de choisir les 11 langues à traduire pour le prototype (albanais, anglais, arabe littéraire, arabizi, espagnol, géorgien, italien portugais, roumain, russe et turc).



Enfin, un avis a été demandé auprès du TechLab de l’APF France Handicap, qui a justement pour mission d’accompagner les opportunités offertes par la technologie au service de l’autonomie et de la participation sociale des personnes en situation de handicap. Cela nous a permis d’avoir des retours plus ciblés pour améliorer l’utilisation de l’outil par des personnes en situation de handicap. Pour rendre l’outil plus inclusif, il nous reste encore plusieurs étapes, et notamment l’ajout de contenu vocal à notre outil pour aider les patients aveugles ou malvoyants, par exemple via l’ajout d’un outil de synthèse vocale. Cela est en cours de réflexion et je suis preneur de vos remarques à ce sujet.


Quentin Paulik

Co-fondateur de Marti


Sources :

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